
Gérard Le Puill
Une fois l’an, trois mois durant, les entreprises de l’industrie agroalimentaire discutent des volumes de produits à fournir aux grandes enseignes et de leurs prix d’entrée en magasin. Malgré les votes successifs de trois versions de la loi Egalim depuis 2018, la pression des distributeurs sur ses fournisseurs perdure. Du coup, les paysans payent une bonne partie de la facture.
Elles avaient débuté le 1er décembre 2024 et doivent être terminées au 1er mars 2025. Les négociations annuelles sur les prix et les volumes de produits à fournir aux enseignes de la grande distribution par leurs fournisseurs sont aussi tendues que les années précédentes. Au nom de l’enseigne Système U, son président Dominique Schelcher déclarait dans « Les Échos » du 17 janvier que « les contrats avec les PME ont tous été signés fin décembre à part quelques exceptions. C’est un engagement que l’on a pris. Maintenant, nous rentrons dans le dur avec les grands groupes industriels, avec qui nous sommes souvent en désaccord et dont les demandes ne sont pas raisonnables ».
Du côté des fournisseurs représentés par l’Institut de liaison des entreprises de consommation (ILEC) on affirme avoir proposé en décembre des hausses de prix d’entrée en magasin de 2,5% à 5,5% pour 80% des produits, soit une hausse médiane de 4,1%. « Ce n’est absolument pas ce qui nous a été demandé: les grands groupes (de l’agro-industrie, ndlr) nous ont présenté des augmentations de 5 à 7% en moyenne, atteignant deux chiffres dans certains cas, beaucoup plus que les PME qui demandaient une moyenne de 3% », ajoutait Dominique Schelcher. Il était le seul représentant des enseignes à s’exprimer dans Les Échos, en plus des représentants des PME. Parmi eux, Léonard Prunier, qui représente l’association des petits fournisseurs des grandes enseignes, donnait les précisions suivantes: « Nos entreprises demandent une revalorisation de 4 à 5% alors que les enseignes veulent des baisses de 4%. Sachant qu’un tiers des PME sont en difficulté, avec un recul de leur résultat net aujourd’hui inférieur à 2%, ce n’est pas réaliste », ajoutait Léonard Prunier.
Prix agricoles et cotations hebdomadaires
La Loi Egalim promise aux paysans en 2017 par le président Macron dans un discours prononcé à Rungis contenait la promesse suivante: « Nous modifierons la loi pour inverser cette construction du prix qui doit pouvoir partir des coûts de production ». Mais cette promesse n’a jamais été tenue depuis sept ans malgré le vote de trois versions de la loi Egalim. Car le président Macron ajoutait aussi dans le même discours: « Mais cette nouvelle approche ne saurait suffire parce qu’elle ne sera efficace que si les agriculteurs se regroupent véritablement en organisations de producteurs pour peser plus dans les négociations en tirant profit des possibilités du droit de la concurrence ». Voilà pourquoi sur 100€ de dépenses alimentaires par les ménages en France la part revenant aux paysans était seulement de 6,40 euros en 2024 contre 6,90 euros en 2018, année du premier vote de la loi Egalim.
Depuis sept ans, l’Humanité a souvent été le seul quotidien national à dénoncer cette tromperie dont les raisons sont assez faciles à comprendre. Les prix de vente du blé, du maïs, du colza sont fixés chaque semaine dans des salles de cotation en fonction de l’offre et de la demande à l’échelle mondiale. Du coup, alors que la récolte française de blé tendre était en baisse de 25% en 2024 par rapport à la moyenne des cinq années précédentes, la tonne de blé français rendu au port de Rouen pour l’exportation ne cotait que 226 euros le 14 janvier dernier contre 300 euros deux ans plus tôt. Le même jour, la tonne de maïs cotait 202 euros à Creil contre 280 euros deux ans plus tôt. Car l’offre mondiale demeure supérieure à la demande solvable depuis deux ans.
Même le beurre est désormais touché par la spéculation…
À l’occasion de la galette des rois du 3 janvier dernier, une partie de la presse a fait état de la forte hausse du prix du beurre dans le prix de revient des 60 millions de galettes vendues à cette occasion. De 3 200 euros la tonne en 2020 le prix du beurre a oscillé entre 7 500 euros et 8 200 euros ces derniers mois. En France, la filière des produits laitiers est excédentaire de 3 milliards d’euros. Cet excédent atteint 3, 61 milliards avec les pays tiers contre un déficit de 623 millions avec les pays membres de l’Union européenne. La diversité et la bonne qualité de nos fromages régionaux bénéficiant d’une Appellation d’origine protégée (AOP) permet cet excédent. Comme ils dégageaient jusqu’à présent plus de marge que le beurre, la production de ce dernier est déficitaire en France de plus de 100 000 tonnes par an pour une consommation d’environ 460 000 tonnes. Il faut une moyenne de 22 litres de lait pour produire un kilo de beurre via le prélèvement de la crème pour le barattage, le lait écrémé pouvant être vendu en lait de consommation courante. Mais il est surtout transformé en poudre pour être à nouveau transformé en lait liquide pour nourrir les veaux de boucherie dans les élevages industriels.
Mais le prix du lait payé aux producteurs reste bas
En 2024, le prix des moyen des 1 000 litres de lait payé aux producteurs les entreprises de collecte était de 504 euros contre 487 euros euros en 2023, soit une hausse de 3,5% .Cette rémunération reste faible pour ce type d’élevage car il faut traire les vaches deux fois par jour et tous les jours de l’année. Le prix des 1000 litres était de 535 euros aux Pays Bas, de 528 euros, en Italie, de 517 euros en Pologne et de 527 euros en Allemagne.
Notons enfin qu’en 2024, les 1 000 litres de lait à comté produit à partir d’un cahier des charges très respectueux de l’environnement étaient payé 688€ au départ de la ferme. Il est transformé en fromage et quelques autres produits dans des petites coopératives dont la plus ancienne, située à Déservilliers, dans le Doubs, a été créée en l’an 1273. A l’époque pour fabriquer une meule de comté qui utilise 450 litres de lait, il fallait collecter chaque jour chez plusieurs paysans le volume indispensable pour produire une meule de comté. La mise en commun du fruit du travail de ces paysans donna le nom de « fruitières » à ces petites coopératives qui fonctionnent toujours au niveau des cantons. Comme on veille à ce que l’offre ne dépasse par la demande en donnant à chaque fruitière un nombre de meule à ne pas dépasser, les grandes enseignes comme Auchan, Carrefour et Leclerc doivent payer le juste prix pour avoir dans leurs linéaires du comté affiné dans le massif du Jura.
Alors que la multinationale Lactalis, première firme laitière au monde, se fait vivement critiquer prévoyant de ne plus collecter le lait de vache dans certaines zones jugées par elle insuffisamment rentables en France , la filière du comté démontre que l’on peut produire de manière agronomique et rentable en même temps.
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