Comment l’Afrique peut-elle s’approprier la dynamique actuelle de restitution du patrimoine pris à l’époque coloniale ? La question a occupé les représentants des 54 pays africains lors d’une rencontre organisée par l’Unesco, lundi 27 janvier, à Addis-Abeba. Une première. Précurseure en matière de restitutions, l’organisation n’avait encore jamais réuni l’ensemble des États du continent autour de ce sujet crucial.

Les restitutions, un mouvement européen

Que ces derniers parlent d’une même voix semble nécessaire pour poursuivre le mouvement européen créé par la promesse d’Emmanuel Macron à Ouagadougou, en novembre 2017, de permettre que, « d’ici à cinq ans, les conditions soient réunies pour des restitutions temporaires ou définitives ». Depuis, des retours ont bien eu lieu – la France a notamment rendu une partie du trésor d’Abomey au Bénin et l’Allemagne des bronzes de l’ancien royaume de Benin au Nigeria –, mais à un rythme jugé trop lent et trop incertain au sud du Sahara.

Comment l’accélérer ? « Nous sommes dans une phase où l’on réalise que le processus de restitution va être long et coûteux, explique Felicity Bodenstein, maîtresse de conférences en histoire de l’art à Sorbonne Université et membre du comité scientifique du fonds franco-allemand de recherche sur la provenance des biens culturels d’Afrique subsaharienne. Il ne peut se poursuivre qu’avec la pression de l’Afrique. »

Or, jusqu’à présent, celle-ci avance en ordre dispersé. « Beaucoup de restitutions interviennent en silos, au Cameroun, en Namibie, au Kenya, sans que les pays et ceux qui sont impliqués partagent leur expérience, regrette Karen Ijumba, chercheuse senior au sein d’Open Restitution, projet panafricain lancé en 2020. Nous avons besoin d’une plateforme centralisée. »

Problème d’accès aux connaissances

Aussi, le sujet reste l’apanage des Occidentaux. « Les connaissances produites sur les restitutions ont augmenté (…), maisles voix des Africains eux-mêmes ne sont pas bien représentées dans le débat », relève Molemo Moiloa, chercheuse au sein du même projet.

D’après ses observations, parmi les dix voix les plus citées concernant la restitution des bronzes de Benin, pièces pillées en 1897 dans cet État situé dans le sud de l’actuel Nigeria, seules deux sont africaines, et les deux premières sont européennes – celles du professeur britannique d’archéologie Dan Hicks et du président français Emmanuel Macron. Dans ce contexte, « l’accent reste mis sur les négociations avec les États européens pour les restitutions physiques, tandis que d’autres questions fondamentales restent en suspens, notamment celle de la reconnexion des communautés et des sociétés africaines avec les biens », poursuit Karen Ijumba.

Une réappropriation d’autant plus ardue que « les habitants du continent ont des moyens limités pour faire des recherches sur les musées européens où sont conservés les biens et les restes de leurs ancêtres », explique Karen Ijumba. Comment savoir quel musée européen conserve tel masque fang du Gabon ou telle statuette ibo du Nigeria ? Dans quel répertoire chercher ? Avec quels termes ? Dans quelle langue ? De telles questions se posent pour ceux qui, directeur de musée, ministre de la culture ou simple citoyen, espèrent saisir l’occasion de la dynamique actuelle de restitution.

Pour y répondre, la chercheuse Felicity Bodenstein imagine une carte interactive réalisée à partir des données des musées européens. « On cliquerait sur une zone, le sud du Cameroun par exemple, et les musées où l’on trouve des objets de la région apparaîtraient, explique-t-elle. Comment voulez-vous sinon que les membres d’une communauté aient l’idée du nom du musée où faire leurs recherches ? »

Une idée ambitieuse qui, pour advenir, pourrait s’appuyer sur des compétences en Afrique subsaharienne. « Des jeunes très bien formés sont en train de mettre en place des outils numériques appliqués à la recherche de provenance, assure Julie Sissia, responsabe scientifique du fonds franco-allemand. Ce domaine est en train de structurer, et cela va très vite. »