Charles Journet, un théologien engagé
Cinquante ans après la mort du cardinal Charles Journet, l’historien Philippe Chenaux publie une biographie documentée du théologien suisse, brossant le portrait d’une « conscience chrétienne restée constamment en alerte face aux défis de son temps ».
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Charles Journet (1891-1975). Un théologien engagé dans les combats de son temps
de Philippe Chenaux
Desclée de Brouwer, 336 p., 22,90 €
« La vocation du théologien n’est pas seulement d’approfondir la doctrine de la foi, elle est aussi de témoigner de cette doctrine dans les affaires du monde, afin de rendre celui-ci meilleur, plus conforme aux valeurs de l’Évangile », écrit Philippe Chenaux pour résumer la vie d’engagements du cardinal Charles Journet (1891-1975), dans la biographie qu’il lui consacre. Une figure inspirante qui a sans cesse rappelé les « exigences chrétiennes en politique », au cœur des tragédies du XXe siècle.
De la condamnation des totalitarismes à la défense de la liberté religieuse, l’historien spécialiste de l’Église du XXe siècle retrace avec clarté chaque combat intellectuel et politique de ce théologien suisse néothomiste, connu pour son amitié avec Jacques Maritain et sa participation au concile Vatican II en 1965.
Face aux totalitarismes
Combat face au mal totalitaire, d’abord. Il est l’une des premières voix à alerter du totalitarisme et à en déceler le caractère nouveau, dans les années 1930. Celui-ci ne relève pas seulement d’une erreur ancienne, qui exige le sacrifice des droits sacrés de la personne humaine à la collectivité, mais possède selon lui une dimension « spirituelle », plus dangereuse encore, en propageant des « mythes collectifs », que ce soit celui de l’État, de la race ou des classes. Son analyse correspond au concept de « religion séculière », dix ans avant son invention, par Raymond Aron.
Combat face aux guerres qui déchirent l’Europe, ensuite. 1936 est le point de départ d’une réflexion sur la guerre sainte, en dialogue avec le philosophe Jacques Maritain. Alors qu’une partie de la hiérarchie catholique apporte son soutien aux nationalistes espagnols, en qualifiant leur combat de « croisade », Charles Journet juge ce concept théologiquement irrecevable, quelle qu’en ait été la réalité historique. Il le distingue de la notion de guerre juste, qu’il défend lors de la Seconde Guerre mondiale : « Le bien temporel d’une patrie peut se défendre par les armes », écrit-il en 1939. La pensée de Thomas d’Aquin sur le tyrannicide inspire ici le « théologien gaulliste » pour théoriser un droit de résistance et exiger une subordination de la politique à la morale.
Combat face à l’affrontement du bloc de l’Est et du bloc de l’Ouest dans l’après-guerre, enfin, notamment lors des congrès pour la paix et la civilisation chrétienne, organisés à Florence entre 1952 et 1956. Journet est soucieux de ne pas identifier l’Église à l’un des blocs, sans pour autant renvoyer les deux systèmes dos à dos, comme le font la revue Esprit d’Emmanuel Mounier et les neutralistes catholiques : l’oppression est bien du côté soviétique.
Du « théologien surveillé » à Vatican II
L’historien éclaire une autre facette du personnage, notamment grâce à l’ouverture récente des archives du pontificat de Pie XII : le « théologien de l’Église ». On apprend ainsi que Charles Journet est l’objet de suspicions de la part des autorités romaines, après la publication de l’encyclique Humani generis en 1950, qui vise les « déviations doctrinales » des « théologiens français ». Il passe alors pour un vulgarisateur dangereux du « maritainisme » et certains, qui ont l’oreille des autorités doctrinales romaines, lui reprochent de faire la promotion d’un « État neutre », dans le deuxième tome de son œuvre principale, L’Église du Verbe incarné, publié en 1952.
C’est pourtant pour défendre ces idées qu’il est appelé comme expert pour la dernière session du concile Vatican II par Paul VI. Son influence est non négligeable sur la déclaration Nostra aetate qui met fin à l’antijudaïsme chrétien, et surtout sur la déclaration Dignitatis humanae, sur la liberté religieuse. Son intervention du 21 septembre 1965 devant les pères conciliaires, qui met en avant la notion de personne humaine, « libre à l’égard de la société civile tout entière » mais tenue de « rendre raison à Dieu de chacune de ses options », convainc les indécis. Une intervention qui est le fruit de l’expérience douloureuse des totalitarismes et d’une conscience aiguë des dangers du « siècle des idéologies ».
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