Émotions sacrées, par Yann Vagneux
Dans l’hindouisme, la dévotion à Krishna enfant, que l’on peut aimer comme un nourrisson ou un ami cher, trouve écho pour notre chroniqueur Yann Vagneux dans les paroles du Christ. Quand toutes les dualités, hommes et femmes, serviteurs et amis, sont transcendées.
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Située sur les rives de la Yamuna, Vrindavan est un cœur battant de l’hindouisme. Cette terre légendaire des amours de Krishna connut une étonnante renaissance à partir du XVIe siècle quand Chaitanya Mahaprabhu (1486-1534) et ses successeurs, les six maîtres Goswamis, construisirent de splendides temples et développèrent la Gaudiya sampradaya, une des écoles de la bhakti marga, ou voie de dévotion.
Se laisser atteindre par cinq émotions
Dans cette tradition, Krishna est au centre de toutes les adorations. Plus précisément, la réalité ultime, représentée sous les traits du bel enfant ou du jeune berger, se laisse atteindre à travers cinq émotions : les bhavas qui sont autant d’étapes vers l’union suprême.
Équanimité parfaite tel un océan sans vague, le shanta bhava est comme un prélude au cheminement spirituel. Pour les Goswamis, il manque à cette paix des profondeurs la passion ardente qui seule peut communier au mystère d’Amour absolu qu’est Krishna. Vient ensuite le dasya bhava, ou état du serviteur en lequel le fidèle se fait l’esclave du Seigneur, dans un dévouement sans faille et une humilité silencieuse qui le détachent de tout égo. Puis, dans le sakhya bhava, on fait de Dieu l’ami afin de s’unir à lui dans une intimité plus grande remplie de franche camaraderie et de courage, comme en témoigne, dans la Bhagavata Purana, Balarama, le frère aîné de Krishna.
Dans le vatsalya bhava, Dieu prend les traits d’un nourrisson et le croyant devient pour lui une mère, à l’instar de Yashoda à qui fut confié Krishna. Ce nouvel état suscite de véritables sentiments d’amour maternel remplis de l’émotion de prendre soin de Dieu avec autant de familiarité et d’empressement, sans l’ombre d’une crainte.
Enfin, au sommet de l’extase, est le madhurya bhava où Krishna est le divin amant emportant tout dans une passion incandescente. Pour l’adorer et l’aimer, le fidèle s’identifie aux gopis, les bergères de Vrindavan. Il n’est d’ailleurs pas rare que des hommes, ayant atteint ce stade spirituel, revêtent les atours et les bijoux de Radha, l’amante éternelle de Krishna, témoignant ainsi que, dans l’ivresse de l’amour, toute dualité entre le masculin et le féminin est définitivement transcendée. Il ne reste plus que l’indicible beauté du Seigneur auquel est parfaitement uni son dévot dans un brûlant cœur-à-cœur qui ne connaît pas de fin.
Un écho inattendu dans l’Évangile
Les hautes figures de Mirabai (1498-1536) et Ramakrishna Paramahamsa (1836-1886) témoignent de l’éclosion des différents bhavas dans une vie humaine. S’imposeraient aussi des rapprochements avec la voie soufie qui fut présente à Vrindavan sous les Goswamis.
Mais c’est dans l’Évangile que cette adoration de Dieu comme maître, ami, enfant et amant trouve un écho inattendu quand on se rappelle quelques paroles du Christ : « Je ne vous appelle plus serviteurs, car le serviteur ne sait pas ce que fait son maître ; je vous appelle mes amis, car tout ce que j’ai entendu de mon Père, je vous l’ai fait connaître » (Jn 15, 15) ; « Celui qui fait la volonté de mon Père qui est aux cieux, celui-là est pour moi un frère, une sœur, une mère » (Mt 12, 50) ; « Au milieu de la nuit, un cri s’est fait entendre : “Voici l’époux qui vient ! Sortez à sa rencontre.” » (Mt 25, 6).
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